" Je ne suis que la victime d'un Envoutement. " [ Pv. Ezechiel. ]

La nuit est tombée depuis longtemps. Du moins, je suppose seulement, car les rideaux sont fermés. Ce sont de grands et beaux rideaux. Qui doivent valoir une fortune en fait, comme à peu près tout ce qui se trouve dans cette pièce. Les draps sentent la lessive, et il y a des dizaines de plantes et de fleurs aux quatre coins de la chambre. Le lit est immense. On pourrait y loger à cinq. Sans blague. En fait, si on fait le calcul de la valeur de chaque objet autour de moi, on peut facilement dire qu'il y a plus de pognon ici que vous n'en gagnerez dans toute votre vie. Si c'est pas ironique, ça !
Doucement, je glisse une jambe hors du lit, puis l'autre. Le sol est froid, j'en frissonne. Il parrait que c'est une sensation désagréable que de ne pas dormir chez soi la nuit. Evidemment, je saurais ce que cela veut dire si j'avais un chez moi. Je m'approche de la fenêtre, pousse le fameux rideau qui vaut votre paye annuelle, et m'assoit sur le rebord. L'hotel est immense, et donne sur toute la ville. D'ici, je peux tout voir. Sauf peut être le visage des gens tout en bas, qui sont vraiment minuscules. Là encore, j'ai entendu dire que le vertige était une sensation vraiment horrible. Mais je n'ai jamais eu le vertige.
Je réalise soudain que je suis enroulée dans le drap propre qui sent la lessive. Je jette un coup d'oeil vers le lit. Sans m'en rendre compte, j'ai embarqué la couette avec moi. L'homme qui se trouve allongé sur le matelat se retrouve donc sans couverture. Il est nu. Son corps n'est pas spectaculaire, loin de là. Il est même un peu vieux maintenant que j'y fait attention. Mais peu importante, il n'est pas moche, même plutot beau garçon, et il a surtout l'argent dont j'ai besoin. Celui là, je l'ai rencontré il y a quelques heures, au casino. J'avais enfilé la robe haute couture noire que ma toute première victime m'avait offerte. Celle que je met toujours quand je cherche une nouvelle proie financière. Dès que je l'ai vu, lui, avec sa montre en or et son costume valant des milions, j'ai su que c'était le bon. Et puis, je viens de vous le dire, pour une fois qu'il y en a un plutot mignon et vraiment riche, autant en profiter. Cela me change des vieux bicentenaires. Je n'ai pas eu trop de mal pour le piéger, celui là. D'ailleurs, je crois même que j'y serais parvenu facilement même sans mon pouvoir, comme pour la plupart des types milliardaires que je 'vole'. Comment font-ils pour ne se douter de rien ? Deux trois sourires, regards en coin, ils me payent un verre, puis m'invitent à dîner. Déjà ils commencent à allonger le blé. C'est tellement facile. Un grand hotel. Dans l'ascenceur, je fais ma timide, je me rapproche, paf, je le colle contre la paroi et j'embrasse langoureusement. A ce stade, c'est déjà terminé. Mon pouvoir ne leur permet pas de comprendre ce qui arrive, ils ont perdu la partie. Je vais leur voler un maximum de fric, ils vont raquer pendant deux bonnes semaines, histoire de me faire payer manucures, salons de beauté, robes hors de prix, déjeuners, dîners, bijoux...
En fait, cela n'a rien de facile. Il y a des règles : car je suis une vampire. Là est toute la difficulté. Je ne peux agir que la nuit. Puis je dois faire en sorte de tenir ma victime éveillée le plus tard possible, pour ensuite bénéficier d'une grasse matinée qui me permet de ne pas voir la lumière du soleil. Si je me réveille avant que la nuit ne soit à nouveau tomber, je feigne l'envie de sexe à nouveau, ou bien la maladie. En général, les hotels que ces hommes fréquentent possèdent piscines, restaurants, et même des centres commerciaux parfois. Je peux donc facilement réussir à ne pas sortir jusqu'à l'apparition de la lune. Oui, deux semaines, c'est un grand maximum, avant qu'il ne commence à se poser des questions. De plus, il me faut manger. Du sang humain, je veux dire. Et comme il est difficile de resister et de ne pas croquer ma victime financière, il me faut d'autres victimes... mais dans un autre domaine. Voilà pourquoi la disparition des serveurs, maitres d'hotels, femmes de ménages..etc.. peuvent parraitre suspecte au bout de quelques jours. Deux semaines, c'est le maximum. Ensuite je prend mes clics et mes clacs et je disparais, pour chercher une autre proie. Au pire, si je suis découverte, il me suffit de "boire" le sang de ma victime financière, et tout rentre dans l'ordre. De toute façon, je ne donne jamais le même nom. Ce soir je suis Sophie, demain je serai Katherine. Peu importe.
Cette vie est tellement exaltante. J'aime ma vie. Je peux le dire. J'aime le jeu de séduction. Les hommes sont tous idiots, aucun ne résiste. Il n'y a rien de plus facile et de plus distrayant que de voir un homme sous le charme. Ils sont là, ils ne pensent qu'avec leur sexe. Je leur donne ce qu'ils désirent et ils ne comprennent pas que c'est eux les perdants, au final. Car une fois que j'ai disparu, je les hante. Des mois, des années après, ils pensent toujours à cette mystérieuse femme qu'ils ont eu la chance de pouvoir baiser pendant quelques jours. Ils ne se soucient même pas de l'argent qu'ils ont perdu. Ils ne souhaitent qu'une chose.. me revoir. Cela n'a rien d'illégal, finalement. Ces cons là ne portent même pas plainte ! C'est d'une facilité déconcertante...
Néanmoins, il me semble que je commence à me lasser de tout cela. Il me faut de l'adrénaline, de l'action. Il me faut du nouveau. Assise sur le rebord de la fenêtre, j'ai une soudaine envie de sortir, de voir autre chose, pour cette nuit. Le type dort, de toute façon, il ne se rendra même pas compte de mon absence, et demain il m'offrira une robe à dix mille dollars pour la nuit magique que je viens de lui faire passer, et pour toutes les autres en prévisions. La routine. C'est exaspérant. Je délaisse donc les draps par terre, réenfile la robe noire que j'aime tant, et qui me fait un décolleté ravissant, ainsi que mes talons aiguilles, et sort de la chambre d'hotel. Dans le mirroir, je me regarde. Parfaite. L'ascenseur me rammène au rez de chaussée. Le type à la reception m'adresse un sourire. Il doit me reconnaitre, ce n'est pas la première fois que je viens ici. Dehors, il fait presque froid. J'ai envie d'une cigarette. Je marche le long du trotoire. Quelques hommes se retournent. Je ne sais même pas quelle heure il est. Soudain, j'apperçois un homme un peu plus loin, de dos. Etrangement, je me sens attiré par lui, et je décide donc de tenter le tout pour le tout. Je m'approche, mes talons claquent sur le pavé, j'arrive à sa hauteur. Doucement, je tapote sur son épaule, et lance :

- Excusez-moi, Monsieur... Auriez-vous une cigarette, s'il vous plait ?

Et alors il se retourne..

« Vous sentez l'homme. »